Pour une ratification solennelle du traité de l’OMS sur la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies 

Publication : 11 mars 2024

Après la crise du Covid-19 et sa gestion par les Etats et par l’OMS, un certain nombre de dirigeants ont ressenti le besoin de créer un instrument international plus adapté à la spécificité des pandémies. Ainsi, le président du Conseil européen, Charles Michel, lors du Forum de Paris sur la paix, en novembre 2020 puis les dirigeants du G7 dans leur déclaration du 19 février 2021, ont proposé de « tirer les leçons de la pandémie de Covid-19 » et d’aller plus loin dans l’intégration, l’institutionnalisation et la coordination des politiques de santé, mais aussi dans l’échange d’information et la communication des risques en cas de survenance d’une nouvelle pandémie.

Les 194 Etats membres de l’OMS ont adopté, le 31 mai 2021 lors de l’Assemblée mondiale pour la santé, la décision d’examiner un nouveau traité international sur les pandémies lors de la session extraordinaire du 29 novembre 2021. Les membres du Conseil européen ont ainsi confirmé une volonté pour faire progresser la sécurité sanitaire mondiale, en passant par un renforcement des prérogatives de l’OMS dans le cadre d’un traité international.

L’objectif du traité consiste en une révision du Règlement sanitaire international (RSI) de l’OMS. Le RSI est considéré comme un instrument de droit international, un accord juridiquement contraignant conclu par pratiquement tous les pays du monde (à l’exception du Liechtenstein), qui invite les membres à détecter, évaluer, signaler et répondre aux urgences de santé publique de manière coordonnée. En vertu de son actuel article 2, le RSI a pour objet et pour portée de « prévenir la propagation internationale des maladies, à s’en protéger, à la maîtriser et à y réagir par une action de santé publique proportionnée et limitée aux risques qu’elle présente pour la santé publique, en évitant de créer des entraves inutiles au trafic et au commerce internationaux ». L’Organe international de négociation (OIN) s’est ainsi attelé à la rédaction d’un projet de traité, dont la dernière version accessible est celle transmise aux Etats membres qui date du 1er février 2023. Ce projet sera examiné à la 76ème Assemblée mondiale de la Santé, qui se tient en mai 2023. L’OIN espère conclure l’accord en mai 2024, ce qui permettrait à l’OMS de déclarer les pandémies et soumettre les États membres à son autorité « de direction et de coordination du travail sanitaire international ».

De l’exposé des motifs introductif du projet de traité, on peut retenir une volonté des Etats membres de se donner les moyens juridiques d’agir en cas de pandémie – dans un cadre permanent et non uniquement d’exception – et de contenir l’appréhension différenciée par les Etats de la gestion d’une pandémie comme cela a pu être le cas lors de la survenance la pandémie de Covid-19. On peut aussi y relever le rôle central que les Etats parties envisagent de donner à l’OMS en tant qu’autorité directrice et coordonnatrice, ainsi que la nécessité d’une intervention « pansociétale » (whole-of-society), en s’appuyant sur plusieurs concepts comme les « systèmes de santé résilients » ; le programme « One Health », ou encore la « couverture sanitaire universelle ». Son champ d’application sera, en vertu de son article 5, à la fois national, régional et international. A l’analyse, ce projet de traité semble poser un problème de fond ainsi qu’un problème de forme. Sur le fond, il constitue, au prétexte de la prophylaxie et d’une vision globale de la gestion d’une future pandémie, une immixtion importante dans les prérogatives inhérentes à la souveraineté interne des Etats membres. Ce qui amène une nécessité de forme : la nécessité d’en respecter le cadre constitutionnel contraignant pour procéder à sa ratification.

Xénocratie et immixtion dans la souveraineté des Etats 

Outre qu’il limite fortement les réserves des Etats et ne permet pas de retrait du traité avant un période de deux ans après la date d’entrée en vigueur du traité, le projet de traité sur les pandémies vient s’immiscer de façon importante dans la souveraineté des Etats de plusieurs façons, que nous pouvons synthétiser en trois points :

D’abord, le projet de traité organise un transfert de pouvoirs des Etats membres à l’OMS en matière de santé. L’article 3 § 3 du projet de traité pose la limite du principe de souveraineté des Etats, tout en le conditionnant à l’évidence même qu’il ne soit préjudiciable aux populations. Qui appréciera cette condition d’une grande complexité à apprécier du préjudice à la population en matière de santé ? Et à partir de quel seuil considère-t-on un dommage à la population ? Le projet n’en dit rien.

Ensuite, ces concessions se révèlent à la lecture du projet de traité, encore plus graves et importantes. En effet, le traité organise dans son article 15, l’exercice d’un pouvoir solitaire pour le Directeur Général de l’OMS qui décide seul, en l’état du projet, sans contrepouvoirs ni conditions claires, de la possibilité de déclencher une pandémie.

Enfin, le projet de traité excède largement le domaine de la seule santé publique dans son champ d’application, ce qui accroit la gravité du transfert de compétence indirectement organisé. Trois éléments permettent de le constater : d’abord, avec la mise en œuvre du concept « One Health » (synergies multisectorielles et transdisciplinaires), qui s’étend au climat et à l’environnement mais aussi à l’agriculture, l’école, l’information, les médias et le numérique (programmes éducatifs de sensibilisation, gestion des infodémies, lutte contre les fake news et la désinformation etc.). Plus encore, il s’immisce dans les compétences législatives et l’exercice du pouvoir réglementaire des autorités nationales et les conséquences juridiques des mesures de santé publique (confinements, couvre-feux, isolements, fermetures) peuvent toucher à l’ordre public interne des Etats avec des mesures relevant du noyau dur des compétences régaliennes de l’Etat (ministère de l’intérieur, justice). Le traité permet une intervention de l’OMS non seulement au plan régional et international, mais aussi national. Et il faut ajouter que ce traité, malgré un titre trompeur, dépasse le seul cadre pandémique, puisque qu’il engage les Etats dans ce qu’il appelle les « périodes inter-pandémiques » (formule récurrente retrouvée dans les principaux articles).

Or, de telles compétences ainsi concédées sont au cœur de la souveraineté de l’Etat et ont des effets sur les libertés fondamentales. Elles relèvent d’un noyau dur de « compétences régaliennes », ont trait aux libertés publiques et ne peuvent en aucun cas être concédés par l’Etat. Or, ce serait incontestablement le cas si l’Etat liait toute décision à l’appréciation et à la direction d’une organisation internationale comme l’OMS. Car la santé publique est intimement liée à l’ordre public interne et à aux libertés. Si l’on se réfère à l’alinéa 15 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix », force serait de constater que le projet de traité sur les pandémies va bien au-delà de la simple « organisation et défense de la paix » tel que prévu par cette disposition. Il pourrait bien de ce point de vue, se retrouver en contrariété avec la Constitution sur plusieurs points.

Un traité contraignant qui nécessitera une ratification solennelle

Alors certes, dès son préambule, le projet de traité précise que « Dans le cadre du mandat susvisé, l’INB a établi un processus et une approche systématique pour son travail et en a convenu, lors de sa deuxième réunion, que l’instrument devrait être juridiquement contraignant et contenir à la fois des stipulations juridiquement contraignantes aussi bien que des éléments juridiquement non contraignants.» Mais, l’on voit bien qu’à l’analyse du projet, les choses ne sont pas aussi claires et qu’il risque d’y avoir une interprétation au cas par cas, article par article, par le juges saisis au contentieux, tant du traité que des lois qui seront initiées pour le mettre en œuvre. En effet, ce genre de document préparatoire permet au juge d’analyser chaque stipulation dans le cadre du contentieux dont il est saisi afin d’en déterminer le caractère impératif ou non pour l’Etat. Il faudra donc s’en remettre à la jurisprudence.

Ce futur traité vise donc incontestablement à produire des effets juridiques si l’on suit les volontés de ses auteurs. De plus, il faut se référer à la précision d’un certain nombre de stipulations qui prévoient les engagements des Etats, comme par exemple, l’article 13 qui prévoit que les Etats devront mener des exercices réguliers biannuels avec des simulations multi-pays pour identifier les lacunes et vulnérabilités de leurs systèmes afin de les rendre résilients. On peut aussi citer, entre autres stipulations, l’article 19 § 1, d) qui prévoit un financement de chaque Etat sur la base d’une « ressource PIB », ou chaque Etat contribuera au financement des institutions créées par le traité à hauteur d’un pourcentage à définir de son PIB.

La nécessité d’une ratification parlementaire ou référendaire

Une chose est sûre : ce projet relève incontestablement d’un véritable traité international. Au regard du droit des traités, le texte est écrit et régi par le droit international (Charte des Nations-Unies et Constitution de l’OMS) et qui plus est multilatéral (il concerne les 194 Etats membres de l’OMS, ce qui lui donne aussi une importance certaine). Et d’autre part, il appert que, dès lors que dans ses travaux préparatoires et en préambule du document, les auteurs ont explicitement voulu rendre le texte juridiquement contraignant en tout ou partie et que celui-ci comporte des engagements précis, nous n’avons plus à faire à un simple accord mais à un véritable traité au sens de l’article 55 de la Constitution. Et c’est là que le cadre constitutionnel intervient pour lui imposer des formes obligatoires rigoureuses pour sa ratification.

Le projet de traité semble prévoir une application provisoire des futures stipulations. Son article 35 évoque la possibilité pour un État signataire d’appliquer, « à titre provisoire, en tout ou partie », les stipulations du texte. En prévoyant une telle clause, le traité n’essaierait-il pas de prévoir des exceptions possibles pour faire appliquer ce traité avant sa ratification en bonne et due forme ? Il faut toutefois rappeler que le propre du provisoire est de ne jamais être définitif. Et le paragraphe 2 de l’article 35 vient le confirmer en prévoyant immédiatement que cette application provisoire prend nécessairement fin à la date d’entrée en vigueur du traité. Ne produisant plus ses effets juridiques, il sera alors nécessaire de ratifier le traiter par les voies « normales », prévues par le droit constitutionnel français, conformément à l’article 19 de la Constitution de l’OMS. Aussi, une telle application revient à « reculer pour mieux sauter » puisque, quand bien même ces stipulations s’appliqueraient provisoirement depuis quelques mois, les parties n’échapperont pas à la ratification en la forme prévue par leur modèle constitutionnel.

En droit constitutionnel français, la ratification relève de l’article 53, alinéa 1er de la Constitution : « Les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l’organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l’État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l’état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi ». Les traités doivent donc, lorsqu’ils relèvent de ces catégories de conventions régies par le droit international, faire l’objet d’une ratification solennelle en la forme législative et donc passer par la voie parlementaire. Dans ce cas, sur le plan administratif, en application de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’Etat devra être consulté comme pour tous les projets de loi autorisant la ratification ou l’approbation des traités ou accords énumérés à l’article 53. Il faut aussi rappeler que, si la ratification d’un tel traité est de nature législative, cette nature législative peut être parlementaire (article 53 de la Constitution) mais aussi référendaire (article 11 de la Constitution), en dépit de la démophobie ambiante (plus aucun référendum de ce genre n’a été organisé depuis quasiment 20 ans).

Il ressort donc à l’évidence que ce traité multilatéral rédigé dans le cadre de l’OMS, va produire des effets de droit, créer de nouvelles institutions internationales, comporte des stipulations budgétaires pour les Etats et va imposer en droit français des modifications de nature législative au droit préexistant, comme par exemple des modifications des dispositions du Code de la santé publique (de valeur législative), mais pas seulement, car des confinements, une politique d’isolement et de quarantaines, une obligation du port du masque en population générale ou une campagne éventuelle de vaccination obligatoire ou supplétive de volonté produiront inévitablement d’évidentes conséquences sur l’exercice des libertés fondamentales. La mise en œuvre de mesures sanitaires de prophylaxie ou de lutte contre les épidémies implique la mise en œuvre d’instrument relevant de la police administrative, qui revient, dans l’intérêt de l’ordre public sanitaire, à entraver l’exercice de plusieurs libertés. Par exemple, l’instauration d’un « pass » sanitaire ou vaccinal comme cela a été le cas pendant la crise du Covid-19 nécessite un encadrement législatif avec des garanties accordés aux citoyens en contrepartie de telles entraves – même temporaires – aux libertés.

Grégory Houillon

Enseignant-chercheur

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